Rituels pour adolescents en confinement

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Rectification
Depuis quelques jours, on entend et avec raison, que c’est important que chacun reste chez soi, limite ses déplacements. S’ajoute souvent une deuxième consigne qui s’adresse aux adolescents «  Restez chez vous, tout ce que l’on vous demande, c’est de rester tranquilles à regarder Netflix. Ce qui est quand même peu demander si on pense que ton grand-père, on lui a demandé d’aller faire la guerre. »

À l’écoute de cette prérogative le sang m’a fait deux tours.
À croire que l’adolescente rebelle que j’étais n’est pas si loin.

Premièrement, il y a peu d’adolescents Québécois dont les grands-pères ont fait la guerre, les arrière-grands-pères peut-être, mais pas les grands-pères. On assène donc une fausse vérité, un pieux mensonge pour mieux faire passer la pilule.

Cela malheureusement me renvoie au peu de considération que nous avons pour les adolescents, au manque d’empathie à leur endroit, à nos jugements toujours plus grands et à la façon qu’ont les adultes d’utiliser des arguments éhontés, pour ne pas dire honteux, pour parvenir à leur fin.

Deuxièmement, les arrière-grands-parents de nos enfants n’ont pas connu ce que nous appelons à présent l’adolescence. Ce n’était pas inventé dans leur temps! Ils sont passés d’une brève enfance à des responsabilités de plus en plus grandes. À quoi bon comparer nos enfants à eux? Nos enfants ont grandi avec le monde au bout des doigts et ce, par notre intermédiaire, c’est nous qui les avons emmené en voyage que ce soit pour relaxer, oublier ou découvrir. C’est nous qui les avons encouragés à aller apprendre l’anglais dans l’Ouest, l’espagnol en Espagne, faire un camp musical à Petite Vallée, un voyage d’école en Floride, une compétition de danse en Ontario, livrer les journaux, travailler au dépanneur du quartier, garder.

C’est nous qui leur avons répété et répété que pour se donner le plus de chances possibles, il leur fallait parler français, anglais et pourquoi pas l’espagnol ou le mandarin! Qui les avons incité à multiplier les expériences, à garnir leur cv, à cumuler les formations! Et encore nous qui leur avons offert ces bidules soi-disant intelligents avec lesquels ils communiquent nuit et jour, s’affranchissant des contraintes d’espace et de temps. Et nous voudrions qu’ils retournent bien tranquillement dans leur chambre regarder Netflix et se barricader sur leurs réseaux idiots, apparemment sociaux.

Là encore, nous sommes des menteurs, des hypocrites car nous leur avons aussi répété que trop d’écran n’était pas bon pour leurs yeux, que ça nuisait à leur sommeil, les mettaient en relation superficielles avec des étrangers plutôt que profondes, sensibles et impliquées avec des personnes de leur entourage. Et là tout à coup, nous leur disons l’inverse et nous nous attendons à ce qu’ils acquiescent, nous nous offusquons qu’ils se rebellent, alors que tout ce qu’on leur demande c’est de rester tranquilles à la maison.

Réflexion
Vous rappelez-vous lorsque vous étiez adolescents, les hormones dans le piton, aviez-vous envie de rester tranquilles à la maison avec vos parents? Moi je me rappelle qu’il m’aurait fallu au moins cinq vies en parallèle pour mener à bien tous mes projets. Et que malgré tout, il m’arrivait d’exploser. Exploser devant cette grande inactivité, résignation dont me semblaient faire preuve les adultes. Exploser tant les injustices me rendaient furieuses, tant je me sentais impuissante! Exploser sans forcément savoir pourquoi, alors imaginez si j’avais été confinée et qu’en plus on m’avait traité comme une moins que rien sous prétexte que ce que l’on me demande n’est pas compliqué… si en plus on m’avait fait me sentir coupable sous prétexte que l’on ne me demandait pas de partir à la guerre, mais bien de resté planquée … comme dans une tranchée.
Le danger et l’enjeu sont nuancés, mais l’injonction est la même; ferme là et fais ce que je te dis ! Soumets toi, que tu le veuilles ou pas.

Sauf que c’est le propre de l’adolescence de se rebeller, de s’offusquer, de critiquer, d’argumenter!

Se rappeler
Pourrions-nous nous en rappeler?
Pourrions-nous prendre acte et le considérer?
Pourrions-nous mettre de côté cette histoire de grand-père à la guerre, laisser de côté notre mépris et enfin écouter, être là pour nos enfants devenus grands?
Pourrions-nous les voir dans ce qu’ils sont?
Pourrions-nous les reconnaitre?
Pourrions-nous ne pas oublier les petits bébés que nous avons tant aimés ?

Gavés de Netflix, bondés d’arrogance, ils sont comme nous, ils ont peur. Ils ne savent pas ce qui va arriver. Ils voient tout ce qu’ils perdent sans savoir ce qu’ils vont gagner. Ils voient à quel point ils sont coincés. D’un côté, dans les films, la version bucolique de tout ce qui était possible avant et qui ne l’ai plus à présent; se rassembler entre amis, suivre ses cours de conduite, aller manger une crème glacée, faire des partys, garder, partir à la plage, jouer au hockey, aller au cinéma, rouler en voiture, la vie à l’école, étudier un examen, travailler sur une présentation, les compétitions, les gangs. Finalement être libre d’aller où on veut quand on veut avec qui on veut comme vient de me le dire ma nièce de 14 ans. ! Les films nous rappellent perpétuellement ce qu’il ne nous est plus permis de faire.
Et de l’autre côté, ces fameux réseaux anxiogènes à souhait, où la plus petite des rumeurs fait l’effet d’un tsunami en quelques minutes. Sans compter les jugements, le ridicule qui apparemment ne tue pas, mais fait tout comme.

S’ajoute à ceci que toutes les grandes « vérités », messages de l’univers, philosophie et explications métaphysiques et autres concepts ésotériques de foi en la vie leur passent 10 pieds par-dessus la tête! Alors confinés derrière leurs écrans, niés de tous, mis au rencart bien avant l’âge, ils risquent d’exploser.

S’impliquer
Peut-on éviter cela en les écoutant réellement, en parlant longuement avec eux, en les soutenant même s’ils n’ont rien pour se plaindre?
Peut-on enfin, une fois pour toute, les intégrer, leur faire une place dans la société?
Peut-on éviter d’abandonner cette main d’œuvre bon marché dont l’économie auparavant aurait eu du mal à se passer tandis qu’à présent ils en sont les grands oubliés.
Peut-on les faire passer de consommateurs de contenus, passifs à créateurs actifs? Plutôt que de les anesthésier à grand coup d’écrans et de pitons, pourquoi ne pas les encourager à prêter mains fortes dans la maison, auprès de leurs petits frères et sœurs ou de personnes dans le besoin? Pourquoi ne pas leur suggérer de créer du contenu, de  la poésie, de l’humour, de la musique, des films, du slam, des nouvelles, des tatous, des dessins, des bandes-dessinées, un monologue, de la couture, des semis. Plutôt que de se limiter à en faire des zombis reclus et déconnectés, pourquoi ne pas les rapatrier dans leur monde? En profiter pour leur apprendre à cuisiner, à faire fonctionner la machine à laver, à réparer les objets abimés, à coudre, à trier, ranger, s’organiser. Pourquoi ne pas s’impliquer auprès d’eux? Se réapproprier notre pouvoir de parent trop souvent délégué à la garderie, puis à l’école, la T.S. ou tout l’arsenal chargé de soi-disant éduquer tout ce beau monde. Donnons-leur du temps, du temps à l’infini! Enjoignons-les à créer, à nous montrer ce dont ils sont capables, à nous partager leurs craintes, leurs rêves, leurs passions! Tissons des liens, permettons-leur de se sentir utiles plutôt que tassés. Cultivons notre empathie et notre compassion plutôt que de les molester avec de fausses comparaisons!

En ce moment j’ai 4 adolescents à la maison âgée de 12, 14, 15 et 18 ans plus un petit et nous entamons notre troisième semaine de confinement. Et bien que la tension monte par moment, je suis impressionnés de tout ce qui se dit, se vit. Les longues discussions à la suite d’un repas qui s’éternisent, celles qui s’improvisent dans la salle de bain lors d’un brossage de cheveux ou d’un débarquement de règles non attendues. Celles dont je ne fais pas partie qui ont lieu derrière des portes clauses, d’autres où je tends l’oreille, capte des bribes de leur monde, des miettes de leur univers. Je suis émue de leur complicité, de leurs non dits et de leurs fous rires, de l’organicité, de l’intelligence intrinsèque à leur clan qui semble les lier tel un essaim d’abeille ou un vol d’étourneau. Je suis reconnaissante et soulagée de leur capacité à prêter main forte, à se relayer dans les tâches, à honorer leur tour de repas. Je suis touchée par leur création; ils mettent une chanson en ligne par jour, sont en train de reprendre à leur compte la pièce de théâtre que le petit  avait commencé de pratiquer… sans parler du fait qu’ils se sont transformés en  usine à arc en ciel pour leurs parents restés en ville, leurs grands-parents pas vu depuis longtemps à présent, et les personnes âgées des différents foyers de notre communauté. On pourrait croire qu’un arc en ciel c’est têteux pour un ado, sauf que leurs déclinaisons m’émerveillent ; un arc en ciel dans une crinière de cheval, un manga ou une spirale, les couleurs tissés en constellation où la réflexion d’un arc en ciel à l’infini façon art moderne et même un émoji caca arc en ciel !!! Je suis heureuse de leur monde intérieur dans les livres, le dessin, la musique, la danse… se trait d’union qu’ils tissent entre le monde et eux et qu’ils interprètent chacun à leur façon. Il y a aussi des moments où ça crie où c’est moi qui ai envie d’exploser, d’autres où ça végète ce qui me donne aussi envie d’exploser. Parfois le linge traine dans la salle de bain jusqu’à moquetter le plancher, les vieux bols de céréales s’accumulent dans le salon et les portes claquent, ça s’oublie, ça revendique, ça boude, ça se retire, conteste, remet en question … avec raison. Alors on fait un conseil de famille au cours duquel chacun à son mot à dire, pour tenter de maintenir un peu calme, de patience et de discipline on utilise un bâton de parole et j’offre aussi une petite douce à déguster. Chacun est entendu donne son avis, nomme ses préoccupations. On s’ajuste. On apprend. On négocie. On prend acte. Je les contrains à aller dehors au moins une fois par jour (c’est la seule chose qui n’est pas négociable) et ils ont droit à des moments à pitons sans que je les houspille ! J’accepte qu’ils « chill » à l’infini, même si après avoir fini de chiller ils « vèdgent » et que ça me rend dingue. J’apprends à reculer d’un pas, à me rappeler. Et je vais dehors pour respirer de l’air frais ! Puis parfois je leur fais des propositions, des trucs qui nous permettent de nous rassembler, de tisser des liens, de passer des beaux moments ensemble, de les relancer. J’allume juste la mèche … Avec de la latitude et du respect pour tous on a aussi instauré une routine, histoire de créer des repères, d’avoir une vision commune, un minimum de cohésion permettant à chacun de savoir à quoi s’en tenir tout en profitant d’une certaine liberté à l’intérieur du cadre. Ainsi petit à petit le rythme de notre quotidien s’est sculpté et avec lui une confiance en nous, en notre capacité à vivre cette longue période ensemble, en s’assurant que chacun ait place et soit vu et entendu dans ce qu’il vit.

Ritualiser
Et pourquoi ne pas profiter de cette période pour leur proposer un rite de passage, de façon à ce que ce confinement dont ils vont se rappeler toute leur vie se révèle aussi porteur dans la connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes, la capacité à s’intérioriser, à se centrer, de façon à être à l’écoute de ce qui se murmure à eux et ainsi, leur donner la possibilité de trouver au fond de leur âme et de leurs entrailles une espèce de paix, de clarté, de sens, auxquels ils pourront retourner s’abreuver et se ressourcer toute leur vie. Car après tout, c’est bien là que réside le sens de la vie; trouver qui nous sommes et ce que nous avons à faire. Pourquoi ne pas les initier de suite à cette quête de Soi plutôt que de les parquer comme de vulgaires encombrant et continuer encore de leur mentir?

Ainsi ils pourraient profiter de ce temps pour tenir un journal de leur quotidien, de leurs états d’âme, de l’indicible. Libre à chacun ensuite de faire évoluer celui-ci en journal créatif créé de toute pièce ou bien à même un livre déjà existant auquel on greffe notre histoire, notre interprétation de nous même, tel un dialogue à deux voix. Pourquoi ne pas consigner leurs rêves endormis autant qu’éveillés, les écouter, les mettre à mal ou les magnifier toujours pour explorer ces parts de soi plus inatteignables en d’autres temps.
J’aime beaucoup aussi la métaphore de la courtepointe pour rapailler nos morceaux. Nous sommes tous et toutes disloqués, dissociés de quelque chose, de quelqu’un, d’un état ou d’un endroit. Rapprocher des petits morceaux de tissus, de papiers gribouillés, de bandes dessinés déchirées pour se réapproprier des mots, des émotions, des sensations, recoudre, juxtaposer, réunir, rabibocher, recouvrer une forme d’entièreté, d’intégralité, d’unité.
Le rite ultime serait de ritualiser se confinement, de l’intégrer dans la matière qu’est notre corps, en jeunant… un jour, deux, trois. Ou encore se retirer du monde, se retirer pour vrai. S’assoir dans la tranquillité… Quelques minutes, quelques heures ou plusieurs jours. On peut commencer par méditer. Se retirer en soi. Faire silence autour. Ne plus répondre à ce qui nous agite. Tourner tous nos capteurs vers l’intérieur. Écouter ce qui se murmure en nous. Une fois aguerri on peut aller plus loin, aux confins de soi et du monde et partir en quête de vision à l’orée d’un bois, au creux de la forêt, dans sa chambre ou dans le grenier. Se déconnecter des artifices, consentir à se dépouiller totalement pour se lier à soi, oser tendre l’oreille à quelque chose de nouveau, à une vision. La vision renouvelée qu’ils auront d’eux-mêmes après une telle expérience. La possibilité aussi de gagner en fierté, en confiance de soi, en sentiment d’appartenance. Et la nécessité pour vous de bien l’accompagner*, de ritualiser l’avant, le pendant et l’après afin que l’expérience se révèle porteuse, grandissante et structurante, que la quête du héros n’ait plus lieu sur Netflix mais bien dans leur vie au creux de leur corps et de leur âme. Et qu’ils en sortent conscients, transformés, accueillis et reconnus.

Honorer
Honorer ces petits bébés que nous avons tant aimés, qu’il nous faut apprendre à présent à contempler avec plus de distance, à respecter autrement, à aimer parfois de loin.
Honorer l’immense privilège que nous avons de les avoir à nos côtés, debouts, vivants, conscients.
Honorer leurs pas, les nôtres sur ce chemin improvisé dans lequel il nous faut tâtonner, oser, trouver de nouveaux repères et marcher dans l’ombre et la lumière en quête de sens… ensemble.

* Si vous ou l’un de vos jeunes aviez besoin d’un accompagnement n’hésitez pas à m’écrire en privé.